Frank, pour commencer, peux-tu simplement te présenter et me parler de tes origines ?
Je suis né à Marseille en 1967 mais je vis en Corse. Je pratique la musique, de manière professionnelle, depuis 17 ans. J’ai, en effet, débuté en 1993 avec un groupe qui se nommait les Pères Verts Peppers. Cette formation a vu le jour a Marseille avant d’être « remontée » en Corse. Depuis 2008, je tourne sous mon propre nom, Frank Nello…
Le fait de nommer ton premier groupe professionnel Les Pères Verts Peppers était-il un clin d’œil au dessinateur de bandes dessinées Marcel Gotlib (créateur du personnage Pervers Pépère, publié en 1981 dans le journal Fluide Glacial, nda) ?
Oui c’était un hommage à Gotlib mais nous avons été obligés de transformer l’orthographe du nom. Le célèbre dessinateur ne nous ayant, en effet, pas donné l’autorisation d’utiliser ce terme…
Nous étions sur scène avec des imperméables puis, par la suite, avec des soutanes vertes.
Il fallait le faire… effectuer des spectacles en étant habillés en vert (cette couleur porte malheur dans le monde du spectacle, nda). C’est peut être pour cela que nous ne trouvions pas d’engagements (rires) !
Notre répertoire était assez humoristique, caustique et cinglant…
Après, nous nous sommes calmés avec l’âge (rires) !
As-tu grandi dans un environnement artistique et, plus spécifiquement, musical ?
Oui et non…
Mon grand-père maternel faisait des « balletti », un terme marseillais désignant les guinguettes.
Il faisait danser les vieux avec un accordéon…
Avec mon frère, qui est aujourd’hui un de mes batteurs, on allait derrière lui avec une caisse claire et on emmerdait tout le monde pendant deux heures.
Nous on se régalait et je pense que notre fibre artistique est venue de là…
Ma mère faisait, aussi, un petit peu de piano…
J’ai toujours évolué dans une atmosphère musicale, j’ai chanté pour la Pastorale, pour les Santons etc…
C’était rigolo…
Quelle est la première musique qui t’a vraiment fait frémir ?
Sans hésiter une seule seconde, James Brown !
J’avais vu un concert de cet artiste quand j’avais 15 ou 16 ans…
Je suis littéralement resté « scotché » car, pendant deux heures, je n’ai pas compris ce qui se passait.
Cela a constitué le premier déclic. Avant j’écoutais toutes les merdes qui passaient à la radio du genre Sheila, Ringo et compagnie…
Enfin j’écoutais… je n’avais pas le choix !
A l’époque c’est tout ce qui passait,..
Cela n’a pas vraiment évolué avec ces jeunes artistes actuels qu’on nous sert à toutes les sauces.
Après James Brown j’ai découvert Santana, America et aussi Supertramp…
Je ne savais pas que cette musique, qui ne passait pas à la radio, existait !
James Brown reste, pour moi, le maître absolu…
Qu’est-ce qui t’a le plus impressionné chez lui… sa présence scénique, les orchestrations au millimètre… ?
Des fois il y a des trucs qui me gonflaient un peu… Je me disais « bon faut qu’il arrête son cinéma avec l’autre qui lui met sa cape sur le dos etc… ».
Maintenant je comprend davantage ce côté showman mais, à l’époque, ce qui m’intéressait le plus c’était le groove.
Les mecs avaient déjà une cinquantaine d’années et ça tournait !
Il n’y avait pas une note à côté, ça avait la patate sur scène…
C’était un vrai spectacle, pas juste un concert où on arrive, on joue et au revoir.
Avec des mecs comme Maceo Parker et Pee Wee Ellis au sein de la section de cuivres, on peut dire que ça envoyait !
Sans prétendre lui arriver un jour aux chevilles, l’idée de faire ce style de musique m’est immédiatement venue.
A l’époque actuelle, il vaut mieux ne pas chercher à rivaliser de toute façon… Je ne te dis pas les difficultés pour trouver des dates avec une équipe de 17 musiciens (rires) !
Donc on fait avec, enfin plutôt sans (rires) !
Avant de te lancer dans une carrière artistique, tu as pratiqué tout un tas de petits métiers. Quel a été le déclencheur qui t’a fait prendre conscience de tes capacités et qui t’a fait te dire « maintenant j’arrête tout et je fais de la musique mon métier » ?
Mon grand frère avait monté un groupe de quartier. Notre voisin était à la guitare et nous ne faisions que des titres issus du répertoire de Johnny Hallyday dont notre chanteur était un grand fan. J’avais 16 ans et je jouais sur un clavier Bontempi avec un son pourri.
Nous étions, tout de même, contents car si on ne se produisait que dans un bar miteux on avait quand même toutes nos chances de « se faire une petite ».
J’ai pas mal de succès depuis, donc je continue…
Je crois que l’élément déclencheur pour faire de la musique a été, pour moi, les femmes… Soyons honnêtes (rires) !
Puis, quand on est sur scène, on fait un peu ce qu’on veut…
Quoiqu’on fasse on est jamais ridicule. On peut même s’habiller comme on veut …
Quand j’étais cuisinier, à la fin du service, on prenait une guitare et on jouait dehors. Un jour un de mes patrons m’a dit « arrête les pizzas et fait de la musique, au moins là tu es bon ». Donc je l’ai écouté, j’ai tout laissé tomber et je me suis lancé à fond dans la musique. Depuis j’en vis tant bien que mal… on tient le coup !
Outre les Pères Verts Pépères, as-tu connu d’autres groupes dans ta carrière professionnelle ?
Curieusement non… en dehors de deux ou trois petites formations juste pour rigoler.
J’ai immédiatement débuté avec mes propres compositions. Je ne suis pas passé par le cursus habituel : bals, grands orchestres etc…
Je n’ai jamais fait de reprises sauf, lorsque j’ai commencé Chez Tao (un célèbre cabaret de Calvi) où, avec le pianiste, nous faisions des reprises en puisant dans des répertoires très éclectiques. Cette expérience (120 concerts d’affilés, sans interruption pendant 8 ans) m’a beaucoup appris.
Tu te produis, aujourd’hui, dans un registre soul-blues-funk et le tout avec un fort accent méditerranéen. Quelle définition donnerais-tu à ton style ?
Du funk aïoli !
Un mélange de tous les genres que tu as cités…
Ceci dit, je n’ai pas de style bien défini. J’aime aussi le reggae, certains thèmes de musique classique, quelques trucs de jazz et la musique française. L’accent j’ai du mal à le perdre quand je parle mais, à l’instar de Roch Voisine ou Céline Dion, il s’estompe un peu quand je chante. 
Le plus important pour moi est que ma musique « groove ». Il n’est pas facile de m’étiqueter dans une catégorie en particulier. Il faut que ça tourne et que je prenne du plaisir avec mes musiciens. On se regarde, on se fait des signes et on joue ensemble. C’est ce qui m’intéresse avant tout…
Est-ce que tu conserves un aspect « décalé », via ta présence scénique ou tes textes ?
Plus dans les textes car j’aime rire et déconner.
Il y a donc des chansons beaucoup plus « légères » que d’autres…
Avec l’âge j’ai tendance à évoquer des choses qui me touchent plus précisément.
Je ne porte pas un message en particulier et, d’un point de vue scénique, je réagis en fonction des spectateurs et de l’état d’esprit qui règne dans la salle.
Mon répertoire est rarement établi à l’avance. J’ai une liste dont je ne respecte, que rarement, l’ordre…
Quels sont les artistes qui t’inspirent le plus aujourd’hui. Aussi bien sur un point de vue musical qu’en ce qui concerne les textes ?
J’adore des mecs comme Bill Deraime, surtout en ce qui concerne ses textes.
Musicalement, je reste fidèle à mes premières amours : James Brown, Tower Of Power, Maceo Parker et compagnie…
Je connaissais assez peu le blues avant de rencontrer Fred Chapellier. C’est grâce à lui que, sur la tournée de Jacques Dutronc, mon horizon s’est ouvert. Il m’en a expliqué l’histoire…
Cependant, ne voulant pas me cantonner à un seul style, je n’ai pas exploré le genre à fond. Je découvre toujours des choses. L’éducation musicale est, pour moi, une chose qui se forge tout au long d’une vie.
J’écoute aussi de la musique classique. J’assimile même Mozart à du funk, c’est quelque chose d’énorme. Si le mec vivait à notre époque, ce serait un véritable carnage (rires). On pourrait toujours s’aligner derrière !
Avant de rencontrer Fred, avais-tu conscience de la valeur actuelle du blues français ?
Non, dans le blues français je ne connaissais que Bill Deraime et Paul Personne.
Cette musique est trop peu diffusée, il faut vraiment connaître…
Avant de rencontrer Fred, j’étais tombé sur une vidéo de lui sur laquelle il jouait avec Mauro Serri.
En me retrouvant sur scène, à ses côtés, je me suis dit « Wouah, je me retrouve quand même avec un mec comme ça, ça le fait ! ». Il est devenu, sans hésitation, mon bluesman préféré !
Est-ce qu’il t’a fait écouter d’autres artistes de blues français ?
Il m’avait offert son album commun avec le chanteur américain Billy Price. Ce dernier est vraiment exceptionnel. Du coup je suis resté « bloqué » sur ce disque…
Après Fred Chapellier, il est difficile de trouver quelque chose du même niveau.
Nos liens humains sont devenus tellement forts, qu’il m’est difficile de rester objectif en ce qui le concerne, je l’avoue. De ce fait je ne connais pas d’autres artistes français dans ce registre…
Il t’a probablement sensibilisé à quelques musiciens anglo-saxons alors…
Oui, Roy Buchanan par exemple. Avant, je ne suis pas très original, je ne connaissais que Robert Johnson….
Il y en a tant…
Je reste un « anti puriste » et j’apprécie la musique de Fred car il sait sortir des sentiers battus et ne se contente pas du blues « brut ». Un morceau comme « Under the Influence of You » est vraiment « monstrueux », ça tourne vraiment… J’adore ce « blues groovie »… J’aime quand ça bouge, je ne suis pas blues blues blues à mort…
J’aimerais, un peu, évoquer ton expérience aux côtés de Jacques Dutronc tout au long de l’année 2010. Tu as participé à cette série de concerts en tant « qu’amuseur » et danseur. N’as-tu pas peur que cette image te catalogue et estompe celle du chanteur plus « sérieux » que tu es ?
Je me suis posé cette question…
C’est vraiment bizarre, je me suis retrouvé sur la tournée de Dutronc pour faire des claquettes. Ceci n’est absolument pas ma spécialité !
Je n’en fais, de temps en temps, que pour m’amuser…
Avec le recul, je me suis rendu compte que depuis l’époque des Pères Verts Peppers on retient toujours ce « coup de claquettes » chez moi.
Quand je me produis au Cabaret Chez Tao, on déconne toujours un peu. On m’a souvent dit que je suis un clown. Ce n’est absolument pas péjoratif car c’est un art très dur à pratiquer. Si les gens retiennent de moi que je suis un amuseur qui fait des claquettes, ça ne me pose aucun problème.
Le fait de chanter sur des textes « légers » permet, aussi, d’amener certaines surprises. Pendant deux heures, quand je chante Chez Tao, je déconne… Je mets des perruques, je fais vivre l’enfer au pianiste en l’empêchant de jouer etc…
Je consacre, cependant, toujours la dernière demi-heure à des chants et à une démonstration de claquettes. Là, il y a un véritable effet de surprise. Quand on est un « déconneur », les gens ont toujours du mal à imaginer qu’on puisse aussi être plus sérieux à d’autres moments.
Depuis cette tournée de Jacques Dutronc, je me concentre davantage à mon métier de chanteur. Mais je ne zapperai jamais cette partie de moi, celle de l’amuseur…
On aime ou on aime pas un mec comme Carlos mais il a existé et ça a marché !
Je ne renie pas ce que je suis, puis je préfère faire rire les gens que les faire pleurer…
Peux-tu me parler de ta production discographique ?
J’ai sorti 3 albums dans trois maisons de disques dont les gérants sont tous, aujourd’hui, en prison. C’est comme ça en Corse (rires) !
Le producteur de mon premier disque avait déjà travaillé avec une quarantaine de groupes et n’a jamais payé de droits de SDRM (droits d’auteur) donc l’album n’est jamais sorti…
Nous avions produit notre deuxième opus dans un studio qui n’a jamais payé personne. Les mecs ont quitté la Corse et on ne les a jamais revus…
Mon dernier CD a été produit par les dirigeants du magazine « OM Plus » (rires).
Un soir, Chez Tao, j’interprétais une chanson nommée « Mon accent » devant ces mecs qui étaient dans le public. Dans ce titre, j’évoque l’Olympique de Marseille (club de football de la Citée Phocéenne, nda) alors que je dois être le seul marseillais qui s’en « tape un peu complet ». Du coup, ils ont souhaité offrir le single dans ce magazine qui est tiré à 25.000 exemplaires. J’ai tout de suite accepté, cela a été une publicité inespérée. De nombreux abonnés ont demandé s’il était possible de commander un album complet. De ce fait, j’en ai enregistré un rapidement (album « Mon Accent », César Editions 2008). Il représente mon « éventail artistique » et n’a jamais été distribué. J’ai tout vendu lors de mes concerts…
Mon rêve est de sortir un « putain » d’album live. Il n’y a que sur scène qu’il se passe des choses. J’aime le studio mais c’est trop « propre », on va chercher le petit truc…
En live « ça sort comme ça sort » et c’est ce que j’aime…
Tu pourrais le faire avec quelques uns de tes nouveaux amis, rencontrés sur la tournée de Dutronc…
Certains d’entre eux sont déjà prêts à le faire. Depuis peu j’ai des musiciens alsaciens que j’ai rencontrés sur place à l’occasion d’un concert que je devais effectuer en solo. Ils m’ont, gentiment, proposé de m’accompagner alors qu’ils ne connaissaient pas mes titres. Nous avons fait deux répétitions et ça tourne excellemment. Ces mecs là, je me les tiens au chaud quelque part.
Je fais partie des gens qui n’oublient pas, tant pis si ça parait prétentieux… Ils m’ont rendu service au-delà de ce que j’espérais. Je ne l’oublierai pas…
Si je fais ce disque avec tous les musiciens avec lesquels j’ai envie de jouer, je pense que nous serons une trentaine sur scène (rires) !
Le verbe de notre métier c’est « jouer » et tant que je joue je m’amuse…
En dehors de cet album live, quels sont tes projets ?
J’aimerais qu’un gros producteur mise un paquet sur moi comme ça je pourrai, pour commencer, m’offrir une nouvelle voiture. J’ai été, en effet, contraint d’en louer une pour venir en Alsace. C’est donc purement financier (rires).
Non, je déconne…
Mon souhait est de me produire sur scène au maximum. De me faire remarquer et de profiter du bouche à oreille afin de pouvoir faire un maximum de spectacles.
Je n’ai personne derrière moi pour m’aider…
Il y a quelques pistes, grâce à ma participation aux concerts de Dutronc, mais par superstition je n’en parlerai pas encore.
A l’heure actuelle, il n’y a pas de projet concret…
Outre l’aspect professionnel et artistique, à quoi aspires-tu dans la vie ?
Au bonheur…
J’ai envie de me lever le matin et de dire « Ouais, je vais travailler aujourd’hui! ».
Je ne connais pas beaucoup de gens qui ont ce luxe là…
Moi j’ai la chance de pouvoir me le dire « Wouah, trop bon, aujourd’hui je bosse! »…
Pourvu que ça dure, cette situation me suffit pour l’instant.
J’élève mes enfants tranquillement, j’ai de quoi bouffer, je m’amuse et je gagne ma vie avec ma passion. Je ne vais pas être trop gourmand non plus…
Que ça dure le plus longtemps possible, après…
As-tu une conclusion à ajouter ?
Vive l’Alsace libre (rires) !
Je déconne avec ça mais depuis que je suis arrivé dans cette région, sans faire de démagogie, j’ai été accueilli comme jamais…
C’est tout ce que j’ai à dire… Je compte bien le rendre un jour aux alsaciens… sur scène !
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